J’ai été tellement toute seule longtemps. Peu d’amis, une famille que j’haïssais, des chums insignifiants, pas importants. J’ai été seule dans une famille de cinq, seule dans un couple, seule toute-toute-seule. Seule face à un agresseur, seule face à l’échec, seule devant le temps qui s’étire, qui finit pus.
Entre les secrets qu’on m’a demandé de tenir, les miens que je ne pouvais pas raconter, les choses que j’ai découvert par hasard, j’ai ressenti beaucoup de colère.Il y a, en plus, les choses « pas importantes » qu’on tait. J’ai découvert la solitude. Le silence.
Je ne sais pas combien de fois j’ai tu des choses vraies, des émotions intenses, des malaises profonds. Je ne sais pas combien de fois je suis allée seule à l’hôpital sans en parler à personne ou en faisant semblant que ce n’est pas grave. Combien de secrets j’ai gardé, importants ou non. Des secrets sur des viols, de l’inceste, des maladies mentales, ces choses qui devraient être dites. Des secrets niaiseux sur qui reçoit un plus gros cadeau, qui a un blog, qui a le plus gros salaire. Pourquoi on se dit rien ? Pourquoi, comment ça se fait que les gens ne posent pas les vraies questions ?
Au primaire, j’ai eu une amie qui se faisait battre par sa mère. J’en ai eu une autre que son père avait touchée. Et ce n’étaient même pas mes premiers secrets. J’étais troublée. Mais, je n’avais personne avec qui en parler de toute façon.
Il y a quelques années, ma mère ET ma soeur m’ont raconté qu’elles ont vécu de l’inceste. C’était un premier pas qui s’est pas mal fini là. Pas moyen de vider le sac, de faire le tour de la question. Moi, j’étais pognée avec ça parce que c’est un secret. Moi, j’étais en ébullition, mais je ne pouvais raconter ça à personne. J’haïs les secrets. Pis les surprises. Ça m’est tombé dessus comme une brique. Ma mère n’a pas jugé important de nous dire ça avant. Elle n’a pas jugé important de me dire qui lui avait fait ça. On a probablement cette personne-là dans notre entourage encore… Pour ma soeur, eh bien, je suis tombée malade. À retenir ce secret-là, j’ai fait une dépression.
Je déteste les surprises. Comme quand j’ai appris sur internet qu’un membre de la famille était décédé. Deux fois! Comme quand j’ai appris juste avant que ça arrive que mon chum crissait sa job là sans en avoir une autre qui l’attend ou comme quand j’ai appris qu’un de mes ex avait écrit sur son blog qu’il m’avait trompée.
Est-ce que c’est par peur de la colère que les gens se taisent ? Par peur de se faire juger ? Ou, comme mon chum m’a dit tantôt, parce que c’est pas important ? Comment est-ce que quelqu’un peut juger de ce qui est sans importance ? Parler de ce qui se passe, ça permet de dédramatiser, de rire, de ne plus être seul, de voir la vérité, de se soulager, d’être avec la personne qui écoute. Parler peut rapprocher. Et si ça éloigne, c’est que l’autre personne ne mérite pas de faire partie de notre vie.
Comment faire pour qu’un couple sacre le camp dans les poubelles ? Ne rien se dire. Parce que c’est pas important ou que c’est platte. Laisse-moi te dire que « j’ai fait une lasagne aujourd’hui » c’est crissement plus platte à se dire que « hey, ma prof n’a pas transmis nos notes et l’école nous a mis un échec sur notre bulletin ». Chacun dans sa cuisine, dans son bureau, dans son salon, il y a un tas de mots qui se perdent dans l’espace. Je trouve ça enrageant d’entendre les affaires les plus poches du genre « on as-tu quelque chose à écouter », d’être obligée de poser des questions pour savoir ce qui se passe, peu importe ce que c’est. « Il ne se passe rien ». Ça me décourage quand quelqu’un me dit ça. Il ne se passe rien, ça veut dire que la vie est platte en maudit. Il n’y a pas de découvertes, pas de réflexions, pas de questions existentielles, pas de comédie loufoque sur la vie quotidienne.
Qu’est-ce qui est si dur à comprendre dans « je veux savoir ce qui se passe dans ta vie parce que je m’intéresse à toi »? Qu’est-ce qui est si dur à comprendre dans « je suis ton amie, je suis là pour toi, parle-moi »? Qu’est-ce qui est si dur à comprendre dans « on est ensemble, je veux (presque) tout savoir, je veux partager avec toi ta vie »?
J’en ai des amis maintenant. J’ai un chum que j’aime aussi. Je suis présente. Je suis LÀ. Comme je ne l’ai jamais été avant. Mes oreilles sont ouvertes. Comment ça se fait d’abord que j’ai su que mon amie avait eu peur d’avoir un cancer de la peau des semaines après le rendez-vous chez le médecin ? « Pas important » qu’elle m’a dit. Scuse ?!
Comment ça se fait que j’ai eu des tas de relations supposément intimes où on ne se disait rien ? Je n’écoutais pas ce que l’autre disait la moitié du temps et je ne parlais pas. Pas pire, hein, j’avais la paix. L’autre ne demandait pas comment ça va non plus. Comment ça se fait que j’ai encore des relations supposément intimes qui ressemblent à ça même si j’ai changé ?
Je me demande franchement si ça vaut la peine d’être intéressée si c’est pour avoir l’impression d’achaler le monde, pour me faire dire que c’est pas important, ou, même, si c’est pour écouter du monde parler, chiâler ! pendant des heures et ne pas demander sincèrement comment, moi, je vais. Il y a ça aussi. Il y a du monde qui ne parle pas. Il y a des gens qui n’écoutent pas.
Moi, j’essaie. Maudit que j’essaie. Mais, je ne sais plus si ça vaut la peine. Je trouve ça négatif de ma part. Mais, en quelque part, si quelqu’un ne parle pas, ben, qu’elle s’arrange toute seule. Et si quelqu’un passe son temps à parler d’elle-même sans arrêter deux secondes (tsé le genre de personne qui ne dit pas comment elle se sent, elle fait juste chiâler sur tout, mais elle ne veut rien changer), ben qu’elle ne se demande pas pourquoi je n’écoute plus.
Argh.
Est-ce que ça veut dire que je ne devrais plus parler ? Que ce que je dis n’est pas important ? Comment connaître vraiment quelqu’un si la personne « cache » des choses ? Je ne veux pas tout savoir ni tout dire. Mais, il y a des choses qui sont importantes.